Des syndicats contre la réforme Drainville en éducation, jugée centralisatrice et inutile

Le ministre Bernard Drainville prévoit s’attribuer plus de pouvoir en éducation et instaurer un nouvel institut gouvernemental.

Le projet de loi 23 réformant le système d’éducation confère davantage de pouvoirs au ministre et instaure un Institut national d’excellence en éducation. Les syndicats enseignants critiquent une énième réforme du secteur de l’éducation qui centralise les pouvoirs au gouvernement et ne fera rien pour s’attaquer aux enjeux vécus sur le terrain. Ils réclament une conversation plus large qui devrait prendre l’ampleur de nouveaux États généraux sur l’éducation.

« Pas encore! » C’est la réaction qu’a eu Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), en apprenant que le gouvernement de la CAQ envisageait une autre réforme du système d’éducation.

« Depuis les quinze dernières années, on a eu des réformes et à chaque fois on disait que ça allait être exceptionnel, mais on se retrouve aujourd’hui avec un système aussi difficile, parce qu’on ne s’occupe pas des gens sur le terrain », résume-t-il.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a déposé jeudi un projet de loi qui mettrait en branle une réforme structurelle en éducation centralisant les pouvoirs du ministère, notamment en se donnant le pouvoir de choisir et de licencier les directeurs généraux des centres de services scolaires.

La loi permettrait également au ministre d’annuler les décisions des centres lorsqu’il juge qu’elles ne correspondent pas aux objectifs du gouvernement.

« On sent vraiment une mainmise centralisatrice, alors que les solutions sont souvent sur le terrain », soutient Caroline Senneville, présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

La réforme n’avait pas été annoncée en campagne électorale et n’a pas fait l’objet de consultations publiques en amont du dépôt du projet de loi.

« Dans cinq ou sept ans, il y aura une nouvelle réforme qui dira que cette réforme n’était pas la bonne »

Éric Gingras

« Est-ce que cette énième réforme viendra régler les importants problèmes que vivent les élèves et le personnel du réseau de l’éducation? La réponse est non », a aussi souligné Caroline Senneville dans un communiqué.

Pour elle, le problème est plutôt le mal-financement du réseau de l’éducation. « Ça fait des années, des décennies de restrictions budgétaires », remarque celle qui a également été enseignante. « On se faisait dire déficit zéro, austérité, on se faisait dire qu’on en demandait toujours trop. Et là, on vit les contrecoups de toutes ces années-là. »

Manque d’indépendance

Avec son projet de loi, le ministre Drainville instaure un Institut national d’excellence en éducation qui vise à centraliser les données pour déterminer de bonnes pratiques en éducation et développer des formations pour les enseignant·es.

Ce travail est actuellement réalisé par plusieurs organismes indépendants, dont le Conseil supérieur de l’éducation. A contrario, l’institut proposé par le ministre Drainville relèvera directement du ministère de l’Éducation et aura donc le pouvoir de dicter la formation continue des enseignant·es. L’ancien ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, avait pourtant promis de ne pas s’ingérer dans cela. 

« C’est inquiétant », acquiesce Éric Gingras. « L’éducation, c’est une science sociale avec plusieurs courants. » 

Il craint que le nouvel Institut puisse forcer les enseignant·es à « penser, enseigner et agir d’une certaine façon. » Un tel projet avait d’ailleurs été critiqué en 2017 par des chercheur·euses et des représentant·es des syndicats qui y voyaient déjà une vision réductrice de la recherche en éducation ainsi qu’une attaque à l’autonomie professionnelle des enseignant·es.

Parallèlement, le ministre prévoit également limiter les pouvoirs au Conseil supérieur de l’éducation, qui est indépendant, en lui retirant ses mandats aux niveaux primaire et secondaire. « Ça doit être un hasard », ironise Éric Gingras en soulignant que le Conseil ne remet pas toujours des rapports qui plaisent au ministère.

« Je suis plus que perplexe », avoue Caroline Senneville en soulignant la longévité du Conseil, qui a été mis en place en 1964 dans le cadre du Rapport Parent. « C’est quelque chose de s’attaquer à une institution qui a été créée au tout début de la Révolution tranquille. »

Elle souligne l’importance des avis du Conseil supérieur, qui produit une vue d’ensemble du réseau en s’appuyant sur une recherche terrain et des analyses qualitatives qui ne figurent pas dans le mandat de l’Institut proposé par le ministre Drainville.

« On est dans le monde de l’éducation, on n’est pas dans une usine Toyota », s’indigne-t-elle. « Il y a une réflexion qualitative qui doit avoir lieu. »

Vers des États généraux?

« Dans cinq ou sept ans, il y aura une nouvelle réforme qui dira que cette réforme n’était pas la bonne », prédit Éric Gingras avec cynisme. Pour répondre aux enjeux du système, il envisage de nouveaux États généraux.

« Il faut que l’ensemble de la société québécoise valorise l’éducation, que ce soit l’une de nos valeurs et pas juste pour avoir une job payante. »

Caroline Senneville

« Ça prend une grande conversation » incluant tout le monde, soutient-il. « Il y a des professionnels, des profs, du personnel de soutien qui ont des choses à dire. On ne pense pas, comme syndicat, avoir toutes les réponses et c’est de ça dont on devrait parler, au lieu de cette énième réforme structurelle. »

« Il faut que l’ensemble de la société québécoise valorise l’éducation, que ce soit l’une de nos valeurs et pas juste pour avoir une job payante », souligne Caroline Senneville. « À partir de ça, tout peut s’articuler. »

« Peu importe sa couleur, le gouvernement fait mieux son travail quand il a accès à la multiplicité des voix », rappelle Caroline Senneville. « Le système d’éducation, c’est comme le système de santé : il n’appartient pas au gouvernement, il appartient à la population. C’est une richesse collective. »

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