Loi sur le travail des enfants : quelles conséquences pour les jeunes qui travaillent par nécessité?

Les jeunes les plus démuni·es pourraient s’exposer à davantage de risques en travaillant au noir pour gagner leur vie.

Le nouveau projet de loi 19 sur le travail des enfants impose un âge minimal pour avoir un emploi et un nombre d’heures maximal de travail pour les adolescent·es. Cependant, ces nouvelles balises législatives pourraient mettre à risque les jeunes les moins nanti·es qui doivent travailler pour subvenir à leurs besoins ou ceux de leur famille. Selon plusieurs, le projet de loi devrait donc être accompagné d’un renforcement du filet social.

« Quand les jeunes travaillent pour répondre à des besoins [financiers] importants et que ce n’est pas un choix, qu’est-ce que [la loi] va faire? », s’interroge Véronique Dupéré, professeure en psychoéducation à l’Université de Montréal.

Elle est la co-auteure d’un mémoire présenté à la Commission de l’économie et du travail qui met en garde contre certains angles morts du projet de loi 19 visant à encadrer le travail des enfants.

La législation cherche à protéger les enfants et à garantir leur réussite scolaire en instaurant un âge minimal de quatorze ans pour travailler et en limitant le temps de travail à 17 heures par semaine pour les jeunes de seize ans et moins durant l’année scolaire.

Mais ceux et celles qui travaillent par nécessité avant quatorze ans, ou encore qui ont besoin de travailler au-delà de la limite d’heures pour gagner leur vie pourraient être amené·es à contourner la loi en travaillant au noir, prévient Véronique Dupéré. Dans un tel contexte, ces jeunes seront encore plus vulnérables aux abus, aux risques de santé et de sécurité et aux mauvaises conditions de travail, face auxquels ils et elles n’auront pas de recours. 

Ces craintes sont également partagées dans le milieu syndical par la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et au niveau communautaire, par la Coalition Interjeunes, qui regroupe plusieurs centaines d’organismes œuvrant auprès des jeunes.

À Montréal, ce serait d’ailleurs plus du quart des élèves du secondaire qui travaillent qui le font pour soutenir leurs familles, selon une étude repérée par Réseau réussite Montréal.

Travailler en marge

La situation est particulièrement préoccupante pour les jeunes qui sont en centre jeunesse et qui doivent subvenir seul·es à leurs besoins, signale Jennifer Robillard, directrice générale d’Interjeunes.

« S’ils n’ont pas pu travailler et se ramasser un petit montant d’argent, ils se retrouvent à 18 ans, ils sortent de la DPJ et ils ne peuvent pas retourner aux études, parce que c’est soit ils se paient un loyer, soit ils vont aux études. »

Elle signale par ailleurs que les mesures d’aide financière actuellement en place sont insuffisantes, puisqu’elles ne permettent pas à certain·es d’obtenir à la fois un supplément au loyer et un programme d’accès à l’éducation. 

« Si les jeunes doivent travailler à treize, quatorze ans, c’est qu’il y a des raisons sous-jacentes à ça au niveau [des pressions] économiques et de l’inflation présentement. »

Jennifer Robillard

« Ça me fait peur pour les jeunes qui sont forcé·es d’habiter seul·es parce que leurs parents les ont mis dehors », s’inquiète aussi la jeune militante trans Celeste Trianon. Elle est particulièrement inquiète des répercussions du projet de loi sur les jeunes LGBTQ+, qui se voient parfois privé·es du soutien de leurs parents suite à leur coming out. Elle a aussi déposé un mémoire à ce sujet à l’Assemblée nationale.

Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, les jeunes LGBTQ+ sont surreprésenté·es en situation d’itinérance et doivent très tôt subvenir à leur besoin seul·es.

Si avec le projet de loi 19, les jeunes qui n’ont pas de soutien familial ne peuvent pas accéder au marché du travail ou doivent limiter leurs heures de travail, il devient presque impossible pour elles et eux de ne pas gagner leur vie au noir, en s’exposant aux risques que cela implique, craint Celeste Trianon.

« Les jeunes queers et trans, qui sont des jeunes tellement vulnérables, ne doivent pas avoir à faire un choix entre vivre entre un milieu psychologiquement malsain versus, vivre dans la rue et travailler au noir. »

Renforcer le filet social

« Il faut penser à comment on peut faire pour soutenir [les jeunes], comment on peut au moins s’assurer qu’ils puissent vivre sans avoir faim chaque soir », souligne Celeste Trianon. « Il faut avoir une réflexion là-dessus, pour protéger les enfants des situations de travail dangereuses, tout en s’assurant qu’ils ne soient pas propulsés dans des situations encore plus dangereuses » en étant forcé·es de contourner la loi.

« Si les jeunes doivent travailler à treize, quatorze ans, c’est qu’il y a des raisons sous-jacentes à ça au niveau [des pressions] économiques et de l’inflation présentement », remarque Jennifer Robillard.

Ainsi, la protection des enfants doit également comprendre des mesures d’aide socio-économiques, estime la Coalition Interjeunes. L’organisme suggère notamment de bonifier l’aide sociale pour les familles, comme l’aide financière pour le logement, et de faciliter l’accès aux bourses scolaires des jeunes. 

« Il faut penser à comment on peut faire pour soutenir [les jeunes], comment on peut au moins s’assurer qu’ils puissent vivre sans avoir faim chaque soir. »

Celeste Trianon

« Ce sont des mesures qui viennent d’autres ministères, du réseau de la santé, de l’éducation, de la solidarité sociale », explique Jennifer Robillard, en résumant l’effort transversal nécessaire pour sortir les jeunes de la pauvreté. 

Selon la FTQ, le projet de loi 19 doit également s’accompagner d’une lutte contre la pauvreté, notamment par le biais de la hausse du salaire minimum, plus de logements sociaux abordables ainsi qu’un meilleur accès à la syndicalisation. 

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