« Les dernières années ont été pas mal difficiles » : 155 000 travailleurs fédéraux en grève

« On est ici pour rappeler aux gens que ce qu’on va gagner, eux aussi vont en bénéficier. Je vous le garantis. »

Des milliers de travailleur·euses de la fonction publique fédérale ont érigé des piquets de grève d’un bout à l’autre du pays mercredi, prenant ainsi part à l’une des plus grandes grèves de l’histoire du Canada. PressProgress s’est rendu sur les lignes de piquetage pour savoir ce que cette grève représente pour les gens sur le terrain.

L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) a déclenché une grève générale le mercredi 19 avril à minuit une. L’AFPC était en négociation avec le gouvernement fédéral depuis plus de deux ans. Elle revendique notamment des augmentations salariales, l’ajout du télétravail dans la convention collective et la bonification de certaines primes.

Les deux unités en débrayage, le Conseil du Trésor et l’Agence du revenu du Canada, comptent 155 000 travailleur·euses réparti·es sur des dizaines de ministères à travers le pays.

Selon une liste publiée par l’AFPC, 250 lignes de piquetage ont été dressées d’un bout à l’autre du Canada. Certaines sont érigées devant des bureaux gouvernementaux et des bureaux de député·es.

PressProgress a recueilli les témoignages de quelques travailleur·euses en débrayage. Voici ce qu’ils et elles avaient à dire.

À Ottawa, en Ontario

Des milliers de travailleur·euses étaient sur les lignes de piquetage à Ottawa, mercredi matin. Vers midi, le président de l’AFPC, Chris Aylward, s’est adressé à la foule devant les bureaux du Conseil du Trésor.

« Tout le monde croit que les travailleurs et travailleuses du secteur public fédéral gagnent dans les six chiffres, mais la majorité des membres de l’AFPC gagnent entre 40 000 $ et 65 000 $ par année. On ne peut pas accepter une autre réduction de ces salaires », a dit Aylward.

Photo : Luke LeBrun (PressProgress)

« Ce gouvernement a déclaré avoir une fonction publique de renommée internationale. Si c’est vrai, que vous le croyez et que nous le croyons aussi, il faut nous le montrer à la table de négociations. »

« Souligner le bon travail de notre fonction publique à la Chambre des communes, ça n’apporte rien à nos membres. Ça ne les aide certainement pas à payer leurs factures. On a besoin d’une offre salariale décente et juste, comme tous les autres travailleurs du pays. »

À Toronto, en Ontario

Dan, un gréviste de l’Agence du revenu du Canada qui a demandé de conserver l’anonymat, a confiance que le public appuiera la grève et s’opposera à une loi spéciale ordonnant le retour au travail.

« Pour être honnête, j’étais pas mal nerveux dans les jours et les semaines précédant le déclenchement de la grève », a dit Dan à PressProgress. « Pour la majorité d’entre nous, c’est notre premier débrayage. La dernière grève de l’AFPC remonte à 1991, et la dernière grève du Syndicat des employé·e·s de l’impôt était en 2004. Quand l’AFPC a annoncé le déclenchement de la grève, j’étais fébrile. »

Photo : Luke LeBrun (PressProgress)

« La grève, c’est l’un des outils de négociation les plus déterminants qu’on a. J’espère que le public va voir ce qui se passe et qu’on aura son appui. Durant la grève du Syndicat canadien de la fonction publique en 2022, l’opposition à une loi spéciale était massive et très encourageante. J’espère qu’on aura le même appui du public. »

À Montréal, au Québec

Joffrey Parent travaille en communication au Bureau de la traduction et est aussi délégué syndical en chef de cette section. Il explique qu’avec l’inflation, son pouvoir d’achat et celui de ses collègues diminue à chaque nouvelle convention collective.

« Le gouvernement nous offre très peu. On veut aussi rajouter des conditions de travail en plus des conditions salariales : on parle de rendre le milieu plus inclusif, de faire des formations contre le harcèlement et contre la discrimination », nomme-t-il.

« J’ai bon espoir qu’on puisse obtenir des gains significatifs », dit-il.

Francis Snyder, président pour le local 1008 de Montréal du Syndicat des employé·e·s de l’impôt (SEI), est particulièrement touché par cette grève, car sa mère aussi était fonctionnaire et il trouve que c’est nécessaire « de se battre pour nos droits ».

« Je me suis levé à quatre heures et demie ce matin et hier matin, mais quand je vois la quantité de personnes qui se déplacent, je suis heureux et je me dis que ça sert à quelque chose », exprime-t-il.

Francis Snyder | Photo : Oona Barrett (Pivot)

« Même si je suis fonctionnaire, faut quand même magasiner les spéciaux, parce que faut sauver de l’argent. Avec une meilleure augmentation, on pourrait mettre de l’argent de côté. On pense à la retraite, mais on veut aussi se payer des vacances », explique-t-il.

Francis Snyder demande aux Canadien·nes de prendre le temps de se plaindre à leur député·e pour faire avancer les conventions, afin que tout puisse revenir à la normale.

À Winnipeg, au Manitoba

Tannis Dorward est vice-présidente de la section locale 50772 du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, en plus d’être cheffe du piquet de grève érigé devant le bâtiment de Service Canada au 280 rue Broadway à Winnipeg.

« Je suis un peu émue », a dit Dorward à PressProgress. « On a réussi à rassembler plus de 200 personnes sur la ligne de piquetage. C’est vraiment énergisant. Je pense que les gens se sentent très soutenus. »

Sur la ligne de piquetage, Dorward s’est sentie connectée à l’histoire syndicale de Winnipeg. En face, on peut voir une murale qui commémore la grève générale de Winnipeg de 1919.

Photo : Tannis Dorward (AFPC)

« C’est enthousiasmant d’être réuni·es. On ne veut jamais être en grève, mais on ne veut pas non plus devoir constamment se battre juste pour avoir une convention collective. »

Rob McGregor, membre de l’AFPC aussi en grève, joue du tuba dans une fanfare devant les centaines de travailleur·euses qui débrayent devant le bâtiment de Service Canada. Pour McGregor, c’est une première.

Photo : Emily Leedham (PressProgress)

« Éventuellement, j’aimerais bien prendre ma retraite. Pour ça, il faut mettre de l’argent de côté, mais c’est vraiment difficile ces temps-ci. Tout passe dans l’épicerie et l’entretien de la maison, tout est tellement cher. »

« Ce à quoi ils s’opposent et ce pour quoi on se bat, c’est l’obtention d’un salaire qui couvre au moins les besoins de base et avec lequel on peut offrir un meilleur avenir à nos enfants. C’est tout. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est signer un bout de papier. »

À Calgary, en Alberta

Brenda Spenard, qui travaille à titre de superviseure à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), est l’une des quelques centaines de travailleur·euses qui se sont rassemblé·es sur la ligne de piquetage devant le bâtiment Harry Hayes à Calgary.

« On en a assez », a dit Spenard à PressProgress. « Si on acceptait l’offre du gouvernement, ça signifierait d’accepter une réduction de salaire, quand on tient compte de l’inflation. »

« Les gens en arrachent. L’essence est chère. La majorité d’entre nous vit d’une paie à l’autre. »

Photo : Stephen Magusiak (PressProgress)

Dave Sward, travailleur à l’unité de négociation du Conseil du Trésor, dit que les décennies d’inflation ont eu des effets néfastes sur ses conditions de vie et celles de ses collègues.

« L’augmentation du coût de la vie, c’est difficile », a dit Sward à PressProgress. « On doit faire certains choix difficiles, courir les rabais à l’épicerie, changer certaines habitudes. On n’arrive pas à retrouver notre style de vie d’avant. »

À Langley, en Colombie-Britannique

Heather Adair, qui travaille pour IRCC en Colombie-Britannique, dit que cette grève s’imposait depuis longtemps.

« Je suis très heureuse d’être ici. Ça fait longtemps que je voulais qu’on déclenche une grève », a dit Adair à PressProgress. « Les dernières années ont été pas mal difficiles pour les travailleur·euses du gouvernement, à commencer par le fiasco de Phénix et toute la souffrance que ça a causée. »

La conciliation travail-famille a été plus difficile pour Adair, qui est obligée de consacrer trois heures par jour à ses déplacements vers Vancouver, alors qu’elle pourrait travailler de la maison et passer plus de temps avec sa famille.

Photo : Rumneek Johal (PressProgress)

« En plus de piger dans mes poches, ils menacent l’équilibre entre mon travail et ma vie personnelle », dit Adair. « Cet équilibre travail-vie personnelle, c’est une des principales raisons pour lesquelles j’ai choisi de travailler pour le gouvernement. Ma famille est importante. »

Paige Humber, qui travaille pour la Commission des libérations conditionnelles du Canada, espère que les travailleur·euses du secteur public, du secteur privé et celles et ceux qui ne sont pas syndiqué·es verront que leurs luttes sont interconnectées.

« Il faut se rappeler que si les travailleur·euses du secteur privé ont droit à des jours fériés et à des congés de maternité, c’est grâce aux luttes des syndicats et grâce aux gains qu’ils ont obtenus », a dit Humber à PressProgress.

« On est ici pour rappeler aux gens que ce qu’on va gagner, eux aussi vont en bénéficier. Je vous le garantis. »

Cet article est d’abord paru en anglais sur PressProgress. Traduction par Miriam Hatabi.

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